Hier, je suis tombée sur ce conte du Caucase. Je résume le début. C'est un prince qui toute sa vie guerroye contre les cosaques . Quand il sent qu'i'il est trop vieux, il rentre dans son château et convie son voisin, Kha-Beau-Regard de poursuivre cette tâche "pour que nos femmes et nos enfants soient bien nourris". Kha-Beau-Regard va donc veiller les frontières. "Il apprit à se battre.Il apprit la douleur, la loyauté, la ruse. Il apprit la victoire et la défaite l'art de traquer, de résister, de fuir".
Au bout de dix ans, il rentre chez lui et fait escale chez le prince.
" Le vieillard lui demanda:
- Kha-Beau-Regriard, dis-moi, quelles nouvelles?
-Vieux prince, je ne parlerai pas de mes batailles, elles importent peu. J'ai pillé les Cosaques et j'ai gardé le frontières comme tu l'as fait toi-même toute ta vie.Une chose pourtant m'a surpris. Avant-hier comme je chevauchais, j'ai vu sur un arbre quatre paires de bottes qui seules, sans que personne ne soit chaussé dedans,grimpaient dans le feuillage.Chacune piétinait et bousculait les autres, comme pour arriver la premièèe au sommet.
(...) Hier,au bord du chemin, j'ai rencontré un être tel que je n'en avais jamais vu. Son visage était tant émouvant sous le ciel nuageux que le bruit de mon coeur est monté jusque dans ma tête. Je crois que Dieu ne fit jamais rien d'aussi beau. Je me suis approché de cette créture incomparable.A1lors j'ai vu son corps. C'était un sac informe, plein de déchets où grouillaient des vermines. Je n'ai pu dire un mot."
Après il a encore vu des êtres qui "semblaient faits de brume, de haillons et de boue. Ils jetaient des livres dans les flammes, ceux de nos prophètes et d'autres, aussi sacrés." La dernière vision est celle d'en enfant nu, errant seul dans le vent et le froid.
Quand Kha-Beau-Regard quitte le prince, ses compagnons restent:
" Vieux père, nous n'avons rien compris. Que signifient ces quatre paires de bottes acharnées à grimper à la cime de l'arbre?
Le prince répondit:
- Bientôt viendront des gens sans âme. Ils auront tout abandonné de ce qui a fait nos vies: la générosité, l'honneur et le courage. Ils n'auront qu'un désir, régner sur leurs semblables, quitte à les piétiner pour être seuls là-haut, au sommet de l'arbre.
Les hommes s'effrayèrent:
- Vieux père, est-ce possible? Peut-on vivre ainsi sans coeur, sans dignité?
- Hommes, cela sera, car les êtres sont tels que Kha-Beau-Regard les a vus en chemin.Leur visage est magnifique, Dieu les a faits ainsi.Mais en vérité, plus grande est leur face, plus grand est leur dos.Autant sont-ils beaux, autant sont-ils pesants et grouillants de vermine.
- Vieux père, dirent les hommes ces fantômes boueux qui brûlaient les livres des prophètes, seront-ils un jour de ce monde?
- Hommes, le temps viendra où l'on s'acharnera à détruire les oeuvres de l'esprit.
- Vieux père dirent les hommes il n'y aura plus alors de chevaliers sur Terre.Ils auront tous péri.
Le prince répondit:
- Il y aura sur la steppe un petit enfant nu, sans armes, sans abri,semblable à une pousse verte sur la terre durcie, au sortir de l'hiver."
J'espère quece conte vous donnera autant d'espoir qu'il m'en donne. Je l'ai trouvé dans "L'arbre d'amour et de sagesse" d'Henri Gougaud (Seuil, 1992)