" Il me semble que je ne suis pas vivante.Tant sont mortes, il est impossible que je ne le sois pas moi aussi. Toutes sont mortes. Mounette, Viva, Sylviane, Rosie, toutes les autres, toutes les autres. Celles qui étaient plus fortes et plus résolues que moi seraient mortes et moi je serai vivante? Etait-il possible d'en sortir vivant? Non. Ce n'était pas possible. Mariette avec ses yeux d'eau calme, ses yeux qui ne voyaient pas parce qu'ils voyaient la mort au creux de leur eau calme. Yvette...Non, c'est impossible. Je ne suis pas vivante. Je me regarde, extérieure à ce moi-là qui imite la vie. Je ne suis pas vivante. Je le sais d'une connaissance intime et solitaire. Toi, tu comprends ce que je veux dire, ce que je sens. Les gens, non. Comment comprendraient-ils? Ils n'ont pas vu ce que nous avons vu. Ils n'ont pas compté leurs morts chaque jour à l'aurore, ils n'ont pas compté leurs morts chaque jour au crépuscule. Nous avons passé les jours à compter le temps, nous avons passé le temps à compter les morts. Nous aurions eu peur de compter les vivants. Et pour chaque mort que nous comptions, nous n'avions ni regrets ni larmes. Une douleur exténuée. Nous n'avions qu'effroi et anxiété: combien de jours jusqu'a ce qu'on me compte moi? Comme nous avons compté le temps! "Le temps que l'on mesure n'est pas mesure de nos jours". Là-bas, si. C'était un poème que tu récitais. Je m'en souviens toujours. Combien de jours jusqu'à ce qu'on me compte, moi?Qui restera pour me compter? Tu vois bien que ce n'est pas possible. Avec cette volonté qui nous tenait comme un délire de supporter, d'endurer, de persister, de sortir pour être la voix qui reviendrait et qui dirait, la voix qui ferait le compte final. Avec un vide glacé: pourquoi revenir si je suis la seule qui revienne? Et me voilà, moi, mais morte aussi. Ma voix se perd. Qui l'entend? Qui sait l'entendre? Elles aussi elles voulaient rentrer pour dire. Tous voulaient rentrer pour dire. Et moi, je serais vivante? Alors que je ne peux rien dire. Vivante, alors que ma voix s'étouffe? Que nous soyons là pour le dire est un démenti à ce que nous disons." Charlotte Delbo - Mesure de nos jours
Commentaire de bipolaire (19/06/2013 09:48) :
Le passé n'est pas un vague demain: Le passé fut, la vie se vit au présent,
et demain se conjuguera peut-être à des rêves, espoirs et autres utopies
aléatoires..! (DSMoon / Carpe diem)
ok, bipo, le passé FUT et demain est à construire, MAIS le passé a modelé
le présent... et nous réagissons tous en fonction d'un passé et des
histoires de l'Histoire...Point de nostalgie ou de regret, certes. Mais on
n'a pas le droit d'oublier ce qui pourrait nous servir de leçons, même si
ces leçons n'ont porté que de maigres fruits. Trop facile de tourner les
pages et oublier LA mémoire de nos anciens...c'est comme NIER les
révolutions, les évolutions, les involutions, les reculs, les avancées et
même le piétinement des idées ....
Commentaire de precisdelittérature (21/06/2013 05:33) :
@ Francette : Je cite une phrase de l'extrait -Mesure du temps- Toi, tu
comprends ce que je veux dire, ce que je sens. (fin de citation).
L'initiation transmise est à mon humble perception celle-ci : Les pires
forces de destruction ne viennent jamais à bout de la beauté des mots.
Charlotte s'est dédoublée entre là-bas, un univers hanté, et ici, le monde
des vivants. C'est la beauté de l'écriture de transmettre la vie, faire
revivre l'âme des personnages, ils viennent faire frémir les eaux claires
de nos imaginaires jusqu'à laisser apparaître au fond de la vase d'autres
âmes inoubliables. Grande conscience ou grande Âme venant englober,
comprendre. Affrontement de la banalité de l'humain, tenter de sortir de
l'absurdité humaine, se plonger dans une prose poétique trop réelle pour
accompagner l'expérience de Charlotte. Les lambeaux tristes de vies
dépouillées de tout dans ces camps de déportations, deviennent sous nos
regards des âmes humaines d'une profondeur sans limites. L'âme humaine vit
au-delà de notre monde, il n'y a plus de temps, il y a un monde de beaucoup
plus de dimensions. Perceptions mortuaires.
Finalement, dirait une cousine canadienne, décidément, dirait un arrogant
français: Nous ne sommes que des bribes de graines de pissenlits vouées aux
vents et à ses courants d'air... Le Monde ou les mondes..? Le facile
Univers ou les Multivers encore inconnus..? La Logique du jour ou celles
d'un vague demain à noter en marge..? Les livres sont des bouées posées-là
en repère, des NB écrits en marge, juste des souvenirs listés pour raison
garder, ou de simples NDLR... Je prends note du Passé-simple et simpliste,
je note les éditos inoubliables, les mots dits par nos Anciens, juste je
laisse la porte ouverte aux gens du Présent et à ceux de l'Avenir, sans
repère ni religion, sans véto à écrire pour la corrida versus la Guerre
d'Espagne: Les livres sont des traces figées dans des mondes malins sortis
d'une élite programmée pour le bien du Pouvoir... En réponse à des élites
littéraires, juste dirais que les mondes se confondent encore, entre
francisme et espagnolades, comme entre corrida et liberté de vivre, comme
entre l'utopie d'Europe et les logiques des banques suisses..!:)
Charlot Brown avait tant passé de nuits blanches à chercher le sommeil
récupérateur, tout seul dans sa chambre noire, sans peau douce à caresser
ni fille de joie à se payer d'avance, qu'il en était devenu mouton à force
de les compter, comme un chat prend la rage à vivre avec les chiens
sauvages... Ne jamais compter ses morts sous peine d'en mourir derrière un
mur de peur rancunière et de lamentations: Juste compter sur eux pour
préserver le fil qui nous lie dans un livre d'abord humain à toujours
garder à portée de la main du Coeur. (Lao-Tseu en tongs /
Pentateuque-Talion en aiguilles)
Et j'enrage d'être encore vivant, loin du Rêve américain, loin des USA et
de sa longue expérience fédérale qui n'exclut personne, même pas le pire
texan, selon son beau message new-yorkais: Bienvenue à toi pour ce que tu
nous apportes en restant toi-même... Juste j'enrage de devoir rester vivant
dans une Europe politicienne et désarmée où personne ne sait où va le
leader inconnu, perdu dans un mille feuilles de paperasse à traduire en une
quarantaine de langues de bois, de Strasbourg à Bruxelles, selon les usages
pantouflards d'un système obsolète: Juste j'enrage de ne pouvoir me tirer
de cet étang rendu vert par des algues de même couleur ou par des gens qui
persistent à adorer encore un dieu unique... Juste j'enrage de ne pouvoir
pas me tirer enfin une balle, comme un simple flic municipal... Comme
dirait l'Autre: Dois-je me faire sauter à l'essence, faute de moins pire..?
Mon ange me rappelle la sagesse du Sénat vue sur la bonne chaîne-TV, me
rappelle mes nombreux souvenirs merveilleux, mes matins levés du bon
pied... Mon ange me prie de rester encore en ligne, même en courbe, comme
dans les sondages, juste rester en dernier exemplaire d'un dernier souvenir
de Vip-Mohican à garder online, quand l'élite littéraire s'avère en
désertion sur ce blog, quand rien ne va plus du Tout..!