Le capitaine du navire a dit qu'il regardait son écrant, l'écran ne parlait pas du rocher et le bateau a chaviré. Le capitaine avait pris l'écran pour la réalité.
Quand je suis venue sur vip l'été dernier, apprendre ce qu'étaient blogs et blogueurs, j'ai trouvé des blogs esthétiques, des blogs poétiques, des blogs scientifiques, des blogs politiques, et aussi des blogs de discussions. Certains dialoguaient, se donnaient des nouvelles, s'invitaient chez eux, s'envoyaient force bises, tendresses et amitiés.
Je n'ai pas osé m'inviter dans ces groupes de vieux amis et vieux amants.
Et puis on m'a déniaisée et appris que tout cela c'était du flan. Que vieux amis et amants étaient virtuels, ne s'étaient souvent jamais rencontrés, n'avaient jamais rien affronté ensemble, ne s'étaient pas émus, n'avaient pas eu de fou rire, de révolte ou d'attendrissement ensemble.
Que tout cela n'était que mots cachant d'autres maux.
Un jeu de rôles en quelque sorte.
Et maintenant je vois des dissenssions, des humiliations, des déballages, des trahisons, des désamours. Des sentiments dont les mots semblent vrais. entre humains qui ne se connaissent pas.
Où s'arrête le jeu? Où commence la vie?
Le mot amitié finit par perdre son sens, je me demande si je ne vais pas revenir à mes anciennes traditions et rebaptiser mes vieux amis en camarades.
Le mot amour n'ose plus se dire.
Ce sont les mots de notre réalité humaine qui sont disqualifiéss et disparaissent dans cette poubelle sans fond de la modernité.
Les sentiments existent encore mais ne peuvent plus se nommer.
Comme dans ces démarches "qualité" où seuls ont d'importance ceux qui peuvent se chiffer, et donc se compter, et de là se traduire en monnaie, gloire à notre dieu Argent.
Quand il n'y aura plus de mots, y aura-t-il encore une pensée?
Et si la pensée disparaît, les mots peuvent-ils exister?
Je suis perpelexe devant cette virtualité qui donne des chagrins réels.
Je vois toujours des hommes et des femmes inscrits dans un corps, dans une peau, dans un regard, dans des désirs et des peurs. Je vois toujours des émerveillements, des bonheurs et des souffrances, des luttes et des renoncements, des créations et des destructions, des enfantements et des drames. Qui se disent ou se taisent.
On me dit has been, d'un autre temps, on me renvoie au Moyen-Age. Si je pouvais...y retrouverais-je ce qu'on se disait sans même signer, dans le tracé de nos édifices?
Humainement vôtre.